Abasourdie. Je crois que c’est le mot qui me vient à l’esprit quand je vois l’actualité de ces dernières semaines. Et une question me vient en tête : est-ce que les choses changeront un jour ?
J’avais prévu de parler d’ambiguïté ethnique et d’aborder le racisme à travers ce sujet depuis plusieurs mois. Mais au vu de l’actualité, j’ai décidé de changer légèrement l’angle de mon article et de le publier plus tôt que prévu.
Avant de commencer, remettons un peu les choses dans leur contexte. Mon père est blanc. Ma mère est noire. Je suis donc métisse. Mais très souvent, les personnes que je rencontre ne semblent pas saisir cela. Elles essayent plutôt de m’accoler une nationalité qui correspond à mon apparence physique. On a donc déjà cru que je venais du Chili, du Pérou, d’Espagne, du Maroc, d’Inde, du Pakistan, du Bangladesh, d’Argentine, du Mexique, d’Argentine, d’Italie et j’en oublie sans doute…On a même déjà cru que j’étais une personne blanche qui avait beaucoup bronzé !
Quoi qu’il en soit, les gens captent assez rarement qu’un de mes parents est noir et quand ils le découvrent, c’est souvent la surprise. C’est ce qu’on appelle aux Etats-Unis être “racially ambiguous” ou “ethnically ambiguous” et que je vais traduire par ambiguïté ethnique (n’ayant trouvé aucune info en français qui aborde le sujet).
Des clichés racistes ? Mais non, “c’est de l’humour”
Je me rends compte qu’il y a encore un long chemin à faire en termes de racisme au moment où les personnes autour de moi découvrent que ma mère est noire. Heureusement, la plupart du temps, les gens sont un peu étonnés mais ça ne va pas plus loin. Mais il arrive aussi qu’on commence à me sortir tous les clichés sur les personnes noires soit par curiosité pour voir si c’est vrai, soit par “humour”.
Quand on apprend que je suis métisse, j’ai souvent le droit à :
- des questions/remarques sur mes fesses ;
- des blagues pas drôles du type : “C’est bizarre tu manges pas beaucoup de poulet pour une Noire” ;
- ou encore des questions du type : “Tu sais twerker ?”.
A force d’entendre toujours les mêmes remarques, questions et blagues à la con, je commence à perdre patience. Le pire, c’est que je me dis que certaines personnes vivent ça tous les jours ou presque…
Je me souviens encore de ce dîner avec mon ancien colocataire et ses amis. A un moment, il a cru drôle de lancer “Hé vous savez quoi ? Déborah c’est une Noire !”. Tout le monde s’est retourné vers moi pour me regarder. A ce moment-là, j’ai juste eu l’impression d’être une sorte de bête de foire avec dix tentacules qu’on montre fièrement pour amuser la galerie. D’ailleurs, le silence qui a suivi a bien montré le sentiment de gêne générale. Certains me diront que c’était juste une blague et qu’il n’y a pas besoin d’en faire tout un plat. Sauf que, vraiment je vois pas en quoi c’est drôle…
Dans la catégorie humour, un Suédois m’a demandé si mon père avait acheté ma mère. Apparemment, c’était une blague. En tout cas, lui, ça l’a fait beaucoup.
Il y avait aussi un de mes ex qui, à chaque fois qu’il y avait des personnes noires à la télévision, me disait : “Regarde Déborah, il y a ta famille à la télé”.
Mais il paraît que c’est moi le problème, que je n’ai pas d’humour, que je dois apprendre à me détendre. Il faut aussi que j’arrête de voir le mal partout. Ok, ok…sauf que j’ai 29 ans et que ça fait quasiment 29 ans que j’entends ces “blagues” pas drôles. Je sais très bien qu’on est beaucoup à ne pas rigoler quand on les entend. Alors, il serait peut-être temps d’arrêter les blagues racistes, non ?
Je me rends compte de l’hypocrisie vis-à-vis du racisme
Quand les gens découvrent mes origines, j’ai souvent le droit à des “t’en as tellement de la chance” et même des “j’aurais trop aimé être métisse”. Mais ça, c’est quand ils savent…Parce qu’avant d’en savoir plus, je n’ai pas toujours le droit au même enthousiasme.
J’étais encore au collège quand je me suis rendue compte de ça. A l’époque, la plupart du temps, les gens pensaient que j’avais des origines maghrébines et que j’étais musulmane. Quand ils apprenaient que ma mère était Réunionnaise, il y avait tout de suite un changement d’attitude à mon égard. Une sorte de soulagement suivi du fameux : “Vous les métisses, vous êtes trop beaux”.
J’ai à nouveau vécu ça en 2016 lors d’une soirée à Grenoble. Des personnes présentes pensaient que j’étais Mexicaine jusqu’à ce qu’elles m’entendent parler français. Première réaction : “Mais vous parlez français ?! Pourtant vous êtes typée…”. Quand ils ont su que ma mère était de la Réunion, l’inquiétude qui était apparue sur leur visage le temps d’un instant a laissé place au soulagement avec un “Aah c’est pour ça alors !” en indiquant ma peau avant de me demander : “Et vous vivez en France depuis combien de temps ?”.
Plus récemment, à Madrid, j’ai rencontré le meilleur ami d’un copain espagnol. Première question quand il m’a vue : “T’es Arabe ? Parce que t’as l’air Arabe”. J’avais beau lui répondre que non, j’ai dû lui faire la liste de toutes mes origines pour qu’il arrête. Sauf qu’il a repris avec un “Mais t’es musulmane ?”. J’ai donc dû lui dire aussi quelles religions étaient pratiquées dans ma famille pour qu’il passe à autre chose.
Plus tard, j’ai demandé à mon ami pourquoi son copain avait eu cette réaction en me voyant. Il m’a simplement répondu que je n’avais pas besoin de m’inquiéter, parce qu’en Espagne, il n’y avait “aucun problème avec les Noirs et que c’était plutôt les Arabes qui étaient mal vus”. Je suis restée sans voix…
A l’inverse, je me souviendrai toujours de la réaction d’une connaissance qui avait voulu voir ma famille. Quand je lui ai montré une photo, la première chose qu’elle m’a dit c’est : “Ta mère est noire ?! J’en reviens pas que ta mère soit noire !”. Elle est restée en boucle là-dessus pendant 5 min. J’avais l’impression que je venais de lui apprendre quelque chose d’horrible à mon sujet et qu’à ses yeux, je devenais une toute nouvelle personne. J’ai d’ailleurs failli lui demander si c’était un problème, car ça avait réellement l’air d’en être un pour elle. Sur le moment, ça m’a pas mal irritée…
Ce qui me tue, c’est les changements d’attitude des gens (que ce soit de façon positive ou négative) quand ils découvrent mes origines, alors que je suis et je reste la même personne et que mes origines ne changent en rien ma personnalité.
Je suis témoin des confidences racistes des gens
Il arrive souvent que les gens oublient mes origines ou ne les connaissent pas et se lâchent complètement en sortant des trucs bien racistes devant moi. Quand je rappelle gentiment qui je suis et d’où je viens, on me répond toujours “Mais toi, c’est pas pareil ! Et puis ta mère elle est noire mais pas si noire que ça, c’est différent”. Et donc, ça reste ok de déblatérer des trucs racistes ?
Durant mon année Erasmus, dans ma résidence étudiante, des idiots avaient dessiné une croix gammée sur la porte d’une fille. On savait tous qui étaient les auteurs. Mais une autre fille de l’étage avait voulu prendre leur défense en jugeant bon de me dire : “Non, c’est sans doute les Noirs de l’étage qui ont fait ça”. Il faut savoir qu’à ce moment-là, les seules personnes noires de l’étage, en dehors de moi, étaient un étudiant très timide qu’on ne voyait jamais et une mère de famille d’environ 40 ans. En accusant ces personnes, cette fille pensait que j’allais être d’accord avec elle, parce qu’elle ne se doutait pas une seule seconde de mes origines. Elle a juste réussi à me mettre hors de moi.
Malheureusement, mes oreilles ont saigné plus d’une fois dans ma vie face aux coming out racistes de personnes que j’ai pu côtoyer et qui étaient parfois des amis proches…
L’ambiguïté ethnique, un privilège malgré tout
Comme beaucoup de personnes racisées, je subis le racisme dans la vie de tous les jours. Je sais, par exemple, que si je porte un jean et des baskets pour aller faire du shopping, je vais me faire suivre par les agents de sécurité. On m’a déjà demandé lors d’un entretien d’embauche pour un poste en marketing digital si mon père était un immigré. Je suis également fétichisée. Et j’ai tout un tas d’exemples en stock de choses qui me sont arrivées aussi bien dans le cadre professionnel que privé.
Malgré tout, j’ai conscience que je suis quand même privilégiée. Je me rends compte de ça quand ma mère me raconte les horribles blagues racistes qu’on lui sort à son cours de sport et qui sont bien pires que toutes les choses que j’ai mentionnées dans cet article. Ou encore, lorsqu’elle est venue me rendre visite en Suède et qu’en cinq jours, j’ai surpris à deux reprises des attitudes à son égard que je n’avais jamais vécues en plusieurs années dans ce pays.
Quand je vois le changement de regard sur moi lorsqu’on découvre mes origines ou alors, quand un mec d’une appli de rencontres me sort, après avoir vu mon Instagram, que sur une photo je suis “trop bronzée”, je réalise que l’ambiguïté ethnique reste un privilège. Si j’avais eu exactement la même apparence physique mais en étant plus foncée ou en ayant les cheveux crépus, mon quotidien aurait été complètement différent et bien plus épuisant.
Je sais qu’après l’humour, l’autre argument qui revient souvent quand on relate une expérience raciste qu’on a vécue c’est le fameux : “Non mais t’es sûre ? C’est peut-être pas du racisme, c’est peut-être autre chose”. Alors je précise, je ne suis pas parano et j’arrive bien à faire la différence entre une personne qui ne m’aime pas pour une raison X ou Y et une personne qui a un problème avec moi parce qu’elle est raciste. Il y a des regards qui ne trompent pas.
Face au racisme, on fait quoi ?
Même si j’ai encore du mal à être optimiste, il y a, à mes yeux, quelques solutions pour changer les choses…
Un changement de regard nécessaire
Pourquoi j’inspire la sympathie quand on pense que je viens d’Amérique du Sud et la méfiance quand on pense que je viens d’Afrique du Nord ? C’est ici que je me rends compte que tout naît dans la perception qu’on a de l’Autre. Avoir un regard neutre, c’est dur, ça prend du temps, mais ça s’apprend. J’ai moi-même appris à me débarrasser des biais racistes que j’avais pu intégrer. Mais cela reste essentiel, car au quotidien, il est encore bien plus difficile de supporter ces regards remplis de préjugés. D’autant plus qu’on les subit dès l’enfance quand on est racisé⸱e.
Petite, c’est quelque chose que j’ai moi-même mal vécu. Mais comme c’était les années 90, je pensais que les choses allaient changer. Sauf que récemment, je me suis rendue compte que les adultes continuaient de porter leur regard plein de stéréotypes sur les enfants. Je pense notamment à cet ami qui m’a dit que mon neveu avait “une tête racaille” en voyant une photo de lui avec le Père Noël. J’ai beau regardé cette image, je n’arrive pas à voir ce qui lui a valu ce commentaire. Il est bien habillé, porte des chaussures de ville, un bonnet de Noël et sourit. Vraiment, je ne vois pas en quoi cet enfant de 7 ans, également métis, ressemble à une “racaille”.
Je pense aussi à cette personne de mon entourage qui a renommé un petit garçon noir “le petit vendeur de roses” parce qu’il portait un costume, alors que je ne l’ai jamais entendu dire ça quand des enfants blancs portaient des habits similaires.
Quand on est adulte, on arrive à prendre des distances avec ce genre de remarque. Mais quand on est enfant, cela peut être violent à entendre.
On s’éduque et on écoute les concerné⸱es
Pour changer de regard, éduquons-nous et écoutons ceux qui partagent les discriminations qu’ils subissent au quotidien sans chercher à contre-argumenter ou à les interrompre. Mais essayons de comprendre leur vécu sans essayer de minimiser les micro-agressions qu’ils subissent (cela ne vaut pas que pour le racisme d’ailleurs). Soyons solidaires aussi. Quand quelqu’un sort des inepties, ne restons pas silencieux.
Nous avons la chance de pouvoir accéder facilement à plein de ressources en ligne, alors profitons-en ! Je vais essayer de mettre des articles, comptes Instagram ou podcasts que je trouve intéressants à la fin de ce post. J’essayerais de mettre régulièrement à jour cette liste.
Pour écrire cet article, je me suis comme toujours basée sur mes expériences. Le racisme et la bêtise étant des fléaux internationaux, les anecdotes relatées ici se sont donc passées en France, en Allemagne, en Suède et en Espagne.
Si vous avez des expériences similaires ou différentes ou si vous connaissez des blogs, podcasts ou films intéressants sur le sujet ou que vous avez vous-même écrit un article à ce sujet, n’hésitez pas à les partager dans les commentaires !
Pour aller plus loin
- Le podcast Kiffe ta race
- L’instagram de Fatou N’Diaye
- Au sujet de l’ambiguïté ethnique :
- cet article sur ce que les “ethnically ambiguous” personnes ont marre d’entendre
- Celui là et celui là sur les privilèges
- Cet article sur le colorisme que j’évoque sans évoquer dans ce billet
- Sur Netflix : les séries Dans leurs regards et Dear White People et le documentaire Le 13e
- J’ajouterai d’autres références…
Kti dit
Bravo,pour cet article très bien écrit!
Vous êtes une jolie fille, en plus d être une belle personne.
Utilisez votre intelligence et votre beauté contre les ignorants et racistes de bas étages!
Au plaisir de vous lire
Kti
Déborah dit
Merci beaucoup pour votre joli commentaire qui met du baume au cœur 🙂